Textes/ Récits

       Le sérum noir           

par Mary Clarence

 

C’est fini.
C’était le dernier jour.
Enfin...
Une question me taraudait : combien de temps cela allait durer ?

Quand j’arrivais à recueillir quelques bribes de conversation sur le sujet, on me disait qu’il fallait que cela dure le plus longtemps possible. « Tout le monde te le souhaite » disaient-ils.

Je ne voulais pas que cela dure longtemps, pas dans ces conditions. Je suis trop fatiguée. Cela faisait tellement longtemps que je luttais. Trop longtemps. Je crois que je suis soulagée. Oui, soulagée. J’ai peur, mais je suis soulagée. Cette décision que j’aurai dû prendre depuis si longtemps, est enfin prise.

C’est juste la fin. La fin d’une histoire. La fin de mon histoire.

La pièce est terminée. Le rideau est tombé. Chacun rentre chez soi. Il n’y a aucun autre chemin, pas de fuite possible.

Je suis fatiguée de l’intérieur. Je m’oblige tant, mais rien y fait, je me consume chaque jour un peu plus. La tristesse de mes yeux se réfugie dans chacun de mes membres. Elle colonise mon cœur et mon esprit. Je me bats depuis toujours. Depuis que je suis née en fait. Depuis plus longtemps encore. Ce ventre qui devait être mon cocon distillait sur moi un coulis de tristesse et de mélancolie. Je me nourrissais, in utéro, du chagrin à haute dose.

Arrivée dans ce monde, je me suis battue contre cette affliction, chaque jour, chaque heure, chaque minute mais je fatigue, car je le sais, le combat ne cessera qu’à mon dernier souffle. Je suis née comme ça. Ma mère m’a donnée comme présent de vie, la tristesse et la peine. D’aucun d’entre vous ne pourrais s’en rendre compte, tant je parais gai et heureuse. Mais il n’en est rien. Je me persuade, je m’oblige aux sourires et aux rires qui me viennent si facilement.

 Mes yeux s’abaissent  chaque jour un peu plus.
Je suis née avec ça. Je me bats chaque jour contre ça.

J’ai mal partout. Tellement mal. Pourtant depuis le temps, je devrai avoir l’habitude. Mais là, je jette l’éponge. Je n’avais aucune chance contre… le sérum noir.
Le sérum noir c’est la mélancolie qui m’a été inoculée voilà 35 ans. Ce sérum traverse chacun de mes membres, de mes artères et de mes veines. Ce sérum noircit les idées et met fin à une vie difficile.
 
Pourtant je me suis battue avec tant de force, tant de virulence, à coup d’amis, d’amour et d’humour. Mais rien n’y faisait. Le sérum est patient, il est là, tapis dans l’ombre et attend avec la patience du diable.

Dieu que je me suis battue… Je l’ai même, longtemps, ignoré. Il déteste  ça, il préfère une bonne bagarre à l’ignorance de son être. Alors pour se rappeler à vous, il vous met le feu aux entrailles ou à  l’esprit.

La bagarre fut rude, mais je l’ai perdue. Je suis orgueilleuse et mauvaise joueuse, mais cette fois j’ai perdue. Et lorsqu’on perd contre le sérum noir, on tire sa révérence. Il n’y a rien d’autre à faire. On fait le tri dans ses affaires. Et on s’en va.

S’en aller signifie, mourir. Pas s’endormir, non ! Mourir, car le sérum noir s’invite dans chacun des songes pour en faire des cauchemars. Il règne en maitre du conscient et de l’inconscient.
Je dois mourir, sans rêve, sans pastiche, avec humilité devant un ennemi victorieux.
 Le passage à l’acte…comment devait-il se faire ? Je n’en savais rien, je n’avais jamais envisagé de perdre. J’imagine que le sérum noir va me conduire vers mon tombeau. Il investira ma pensée et me fournira le mode d’emploi.

J’ai rendu les armes et mon esprit. La sentence, je la connaissais, c’était la peine de mort. Mais quelle serait l’exécution ? Je n’en savais rien. Pendaison, empoisonnement, accident, maladie… je faisais confiance à mon bourreau pour m’instruire.
Les jours passaient et pas de message sur mon exécution. J’étais juste dans le couloir de la mort.

J’attendais.
J’attendais.
J’attendais.
Les jours passaient et j’attendais.
Des semaines se passaient et j’attendais.

Puis un jour, du fond de mon couloir funeste, une chose étrange se passa.
J’avais rendu les armes comme il se devait devant le sérum noir, mais  Il n’avait pas augmenté sa dose dans le sang et dans mes entrailles. Depuis que j’avais arrêté de ma battre contre lui, j’avais le sentiment d’aller mieux. Pas mieux au sens médical ou psychologique, certes non, mais je me sentais plus tranquille dans ma tristesse. Plus sereine dans ma mélancolie. L’acceptation de mon état avait ralenti l’invasion de mon être par le sérum noir. Moi qui durant toutes ces années vivait avec la mort au coin de l’esprit, je ne la vis plus. Le sérum ne voulait-il pas ma mort ?  Je suis là, nue, sans armes, totalement à sa merci, prête à partir, pourtant je sens moins de brulures.

Que me voulait le sérum noir ? Vivre dans mon sang ? Que j’accepte sa présence ?

Je lui avais donné mon corps et mon esprit mais peut-être ne voulait-il pas être l’unique occupant de cet espace. Je quittais le couloir de la mort et  réintégra mes logements en acceptant sa présence.

Il faisait désormais pacifiquement partie de moi, il était devenu moi. Inutile de le combattre, la douleur sera toujours présente, mais sans combat elle était atténuée. Nous décidâmes d’apprenons à vivre ensemble.

Le sérum noir était devenu mon hôte et plus mon parasite. Nous ne sommes plus ennemis. Je pensais avoir perdu, mais il n’en était rien. Il ne m’a pas chassé, il m’a permis de rester. Nous pouvons vivre à eux…et coopérer.
Quelques jours se sont passés. Et le feu s’était réellement apaisé. Il n’est pas éteint, mais sa flemme chancelle. Depuis cette idée de parlementer avec le sérum noir, il ne me brule plus les entrailles. Je le sens s’écouler dans mon corps avec la lourdeur du plomb, mais j’ai moins de brulures. Mes larmes coulent toujours, après tout, c’est elles qui le révèle au monde, mais qu’à de rares occasions.
A aucun moment je n’avais envisagé de vivre avec lui, de le comprendre, de l’apprivoiser.
Une nuit,  dans mes songes, mon hôte me visita et me demanda : « sais-tu à quelle moment j’ai pris puissance en toi ?

-        Non,  répondis-je

-        Si tu veux que nous vivions ensemble paisiblement, il faut t’en souvenir !

-        Je n’en ai  absolument pas envie.

-        Comme tu voudras. »
Une heure plus tard, mon estomac me fit un mal de chien. Cette vieille douleur s’était réveillée. « Il » me ravivait mes brulures, mes tremblements, mes sueurs froides et les points lumineux qui me donnaient le tournis. Il  n’était pas mon hôte, j’étais la sienne. J’avais cru que je dominais la situation. Je ne suis qu’une pauvre orgueilleuse. Qu’espérerai-je? Être libre. La liberté n’est qu’une illusion pour la suffisante que j’étais. Je ne suis qu’insolence, que mépris. Qu’avais-je cru ? Je me tordais de douleur. Mes larmes coulaient de nouveau. Le sérum noir me tenait par la gorge. Qu’avais-je cru ? Que je maitrisais la situation ? C’est une chimère. Je ne suis rien d’autre qu’une sotte narcissique. Je ne possède rien,  ni mon corps, ni mon esprit, ni même mon cœur. Le vrai propriétaire c’est lui, le sérum noir. Moi, je ne suis que son humble serviteur qui lui permet de se mouvoir dans le monde. Je ne suis que le carrosse, je ne suis que le moyen de transport, je ne suis que la traversée vers les autres. Je suis son obligée. Mon asservissement ne doit pas être une humiliation mais un mode de pensée. Ma vie ne m’appartenait plus...
Les douleurs passées, je me mis en quête de la demande du sérum noir. « Quand avait-il prit autant de puissance ? » Mon compagnon de route, mon fidèle et dangereux compagnon m’obligeait au retour du souvenir. Je m’exécutai autant par soumission que par souffrance. Le voyage fut difficile car le point nodal fut loin. Je savais qu’il était avec moi depuis le début, que je vins aux yeux du monde avec lui comme passager. Mais quand fut-il  tout puissant ? Quand le combat avait-il commencé ? Il fallait pour vivre en paix avec lui, il fallait que je me souvinsse de la première bataille. Ce voyage intérieur fait de souvenirs et de fantasmes m’emmena vers une époque lointaine et oubliée.
J’avais 4 ans.
Un repas.
Mon père. Ma mère.
Des cris.
Des coups
Des coups
Des coups
Toujours plus fort
Du rouge
Du rouge
Du rouge partout
Des hommes en blanc. L’hôpital. La peur. L’abandon. Des étrangers. La trahison. La solitude. La peur. La peur. La PEUR. LA PEUR. LA PEUR.
Mon corps a peur. Mon cœur a peur. Je me décompose. Mes membres se détachent. Je me segmente. Je me désagrège. Mon esprit se sépare de mon cœur. Je sens au fond de moi un liquide qui me traverse, qui m’alourdit. Mon corps chauffe. Mon père. Ma mère. Aucun mot n’a de sens. Suis-je moi ? Non plus maintenant, je ne suis pas tout à fait là même. Je ne suis pas tout à fait la même fillette de 4 ans. Il y a quelque chose qui a changé. Il y a quelque chose en moi. Quelque chose avec moi. Je ne sais pas ce que c’est, mais la  défragmentation de mon être a fait surgir un occupant : Le sérum noir. Il coule désormais avec force dans mes veines, les obstruent et grandit à mesure que les autres m’humilient, me désagrègent et m’ignorent. Le ver est dans la pomme…et je sais désormais qu’il n’en sortira jamais…

 Je me mis à détester Nietzsche. Cette phrase « Tout ce qui ne détruit pas nous rend plus fort » et une abomination. Je hais cette phrase, je le hais lui aussi. Cette phrase à laquelle je m’étais tant accrochée, ne faisait, en fait,  que redoubler la fureur du sérum noir. Et Nietzche devait le savoir. Son sang coulait noir et non rouge. Cette phrase qui devait servir d’arme contre le sérum noir, le rendait plus puissant dans nos veines ! Cette phrase ne servait qu’à dédouaner les bourreaux, les impuissants, et les imposteurs !

Nietzsche devait savoir que cette phrase ne vaut que par la lumière, et le soleil. Mais lorsque l’ombre survient, lorsque le soleil prend congé, le noir et l’obscurité lèvent la tête et sourient. C’est comme s’Il disait, vous n’êtes pas détruit…hummm…c’est ce qu’on verra ! Alors le sérum noir, commence à chauffer, à circuler à l’intérieur du corps, et lorsque le temps à fait son œuvre, il investit l’esprit. Nietzche le savait.
Il savait que lorsque le soleil luit, nous sommes tous débout, les yeux secs et les épaules droites. Mais cette allure de combattant n’existe que le jour, en pleine lumière. L’ombre ne sourit pas, l’ombre est patiente. L’ombre prend ce qui reste quand le soleil a éclairé ce qu’il y a de plus beau. La lumière ne s’encombre pas de parasite, et le sérum noir en est un. Le sérum noir fait partie des ténèbres. Quand vient le crépuscule, que le soleil décline, qu’il se dévêtit, il laisse place à la nuit. Au noir. Aux ténèbres. Pourquoi croyez-vous que les bébés, que les enfants ont peur d’elle, ils savent bien eux…
Non !!! Cette phrase n’a de sens que le jour mais pas la nuit. Monsieur Nietzche  tout ce qui ne détruit pas nous rend plus fort  uniquement à la lumière. Le soir venu, le sérum noir reprend le pouvoir et nous replonge dans un abime chaque jour plus profond.
Le sérum noir n’est pas une maladie qui se guérit. Certains arrivent à peine à vivre décemment avec. Le sérum noir était là au commencement mais se sont mes parents qui lui ont donné force et vigueur, personne d’autre.
Chers parents, par pitié, prenez soin de vos enfants. Faites que jamais le sérum noir ne coule dans leurs veines. Regardez-les!  Aimez-les ! Sachez, cher parent qu’ils ne guériront jamais de vos humiliations, de vos sarcasmes ou de vos absences. Vous tenez dans vos mains la seringue du sérum noir. Vous seuls parents, avez le pouvoir d’inoculer le sérum noir qui détruit chacun des membres du corps de vos enfants, chaque cellule, chaque synapse de son cerneau.  
S’il vous plait, cher parent ne l’inoculez pas !! De grâce, vous avez cet immense pouvoir. Pas de phrase assassine, pas de coups, pas d’humiliation, pas d’ignorance. Par pitié…
Pour moi, il est trop tard, mais par pour eux…

 Mary Clarence 2013

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